VUITTON L’HISTOIRE D’UNE RENCONTRE

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Après la mort de sa mère le petit Louis partit de son village pour la capitale. En chemin épuisé et fatigué de cette longue marche, il se baigna dans l’étang d’un châtelain, le seigneur l’accueillit. Le seigneur vivait seul dans cette grande Bâtisse. Il y avait là tant de domestiques, hommes et femmes, que Louis en fut fortement impressionné, autant que par la bâtisse, immense, de quoi loger cent personnes, et la porte si large que l’on aurait pu y faire passer deux carrosses de front.

À l’intérieur, Louis écarquillait les yeux : moulures à la feuille d’or, parquets marquetés, poutres sculptées et peintes d’or, de brun et de carmin, cheminées où l’on pouvait faire rôtir un bœuf entier, portraits encadrés au mur, fauteuils tapissés de couleurs chatoyantes. Le seigneur l’invita à s’asseoir. Lorsque Louis se posa sur le fauteuil, il n’en crut pas son postérieur. Un tel confort n’était pas de ce monde.

— Donc, tu sillonnes les routes?
Oui, m’sieur.
— Et pour aller où?
— Je ne sais pas.
— Tu as au moins une direction ?
– Je m’éloigne de chez moi. Je viens d’Anchay.
— Je ne connais pas.
— Tout au bout des forêts d’épicéas.
— Je vois.
— Je marche depuis cinq saisons.
— Et tu ne sais pas où tu vas.
– Non, m’sieur. Peut-être Paris.
– Paris? Et que sais-tu faire?
— Je connais le bois.
— Ton père était bûcheron?
— Mon père était meunier mais il travaillait le bois.
— Tu n’as plus de famille ?
— J’ai un frère et trois sœurs qui sont restés là-bas.
– Eh bien, sache qu’à Paris on recherche beaucoup de garçons comme toi.
— Je sais que j’y ai des cousins, mais je les connais pas.
– Un garçon avec suffisamment de caractère pour quitter sa maison et accomplir pareil voyage, et ce, si j’en juge par ta tenue et ton baluchon, avec rien, et qui parvient à survivre et à avancer, est un garçon avec de la ressource et du talent. Je vais te faire donner des habits.
L’homme regarda les sabots.
— Tu as fait tout ce chemin avec cela ?
L’enfant sortit un pied d’un sabot. Enroulé dans des chiffons tachés de sang, il faisait peine à voir.
– On va te trouver des chaussures.
– Des chaussures ?
— Tu peux rester ici pour la nuit, demain matin je te montrerai le chemin qui mène à Paris.

Le seigneur appela Angèle, une de ses domestiques, pour lui trouver des vêtements et des souliers de cuir. Angèle emmena Louis dans les cuisines, Elle lui servit, sur une assiette de faïence, deux cuisses de poulet rôti, des légumes et un morceau de pain blanc. L’enfant se jeta dessus à pleines mains.
– Non, mon garçon, dit Angèle, s’il y a des couverts, ce n’est pas pour faire joli.
L’enfant prit la fourchette et la planta dans une cuisse de poulet pour la dévorer plus facilement.
— On ne fait pas comme cela.
Angèle lui expliqua comment utiliser ses couverts et comment tenir un couteau. Il apprit vite et termina son assiette.
Il voulut la lécher, mais elle l’en empêcha. Elle le resservit quatre fois, si bien qu’à la fin, repu, le ventre plus que plein, il rota. Elle lui expliqua que cela non plus ne se faisait pas.

Il se sentait un peu penaud, mais tellement heureux d’avoir si bien mangé. Puis, elle lui montra sa chambre, son lit, la pièce d’aisances, lui apporta de l’eau pour sa toilette et le laissa.

Louis hésita devant le lit. Celui-ci était recouvert d’une étoffe de brocart, avec en dessous une couverture en laine fine, et encore en dessous des draps de coton. Il s’assit sur le lit, intrigué. Il en descendit, prit son couteau, souleva le matelas et y fit une légère entaille pour comprendre ce qu’il y avait dedans qui le rendait si moelleux : il était sur un matelas de chiffons. L’oreiller, lui, était en plumes d’oie  il n’eut pas besoin de l’entailler, car une plume sortait par un côté. Son visage s’enfonçait dedans avec volupté. Il souleva et plongea sa tête dans l’oreiller à plusieurs reprises. Cela l’amusait beaucoup. Il était follement heureux de ce confort nouveau, et le lendemain il aurait des chaussures. Quelle bonne étoile avait-il au-dessus de la tête?

Il dormit d’un heureux sommeil. Se réveillant plusieurs fois, se croyant dans un rêve. Non, il était bien là, dans cette chambre extraordinaire, en haut de cet escalier de pierre.
Le lendemain, il descendit à la cuisine et y trouva Angèle.
— Qu’est-ce que je dois apprendre encore, en plus de savoir tenir mes couverts?
La femme lui sourit.

Elle lui enseigna des formules de politesse, la manière de se tenir, et lui expliqua qu’il était important d’être toujours propre, et deux ou trois autres choses qu’il faut éviter de faire entre gens de bonne compagnie. Elle lui coupa les ongles, et même les cheveux qu’il avait fort longs. Puis elle lui donna des habits qu’elle avait cousus, et qui par un heureux hasard étaient à peu près à sa taille.

Le seigneur sembla satisfait du nouvel attirail du garçon.
— Te voilà paré. Il ne te manque que de bons souliers.
Il envoya son cocher chercher des souliers de cuir au bourg.
Lorsqu’il revint, Louis les chaussa, et il eut l’impression qu’à chacun de ses pas, il pouvait sentir le sol, et presque les rainures du parquet, sous la plante de ses pieds. C’était incroyablement léger! Voilà qu’il se laissait glisser dans l’immense salon, comme s’il patinait. Heureux comme tout, il n’en revenait pas de ses nouvelles chaussures. Le seigneur riait de le voir ainsi s’amuser.
— Avec cela, tu sauras mieux où tu mets les pieds.
Le seigneur lui proposa de le faire conduire par son cocher au début d’une route qui, si Louis la suivait sans en dévier, le mènerait à la capitale.
— Merci, monsieur, dit Louis. Alors ce n’est pas vrai, ce qu’on dit ?
– Qu’est-ce qu’on dit ?
— Que les seigneurs sont mauvais.
—Il y a probablement de tout. C’est la nature humaine, tu verras.

L’important, je crois, c’est de tenter de garder son cœur. Va, jeune homme. Que la vie te soit clémente. et c’est seulement à Paris, qu’au cours de la première nuit, perdu dans les méandres des petites ruelles du centre qu’il se fit voler ses chaussures, mais cette visite au château va changer sa vie. Il venait de découvrir le luxe d’avoir des chaussures à la place de sabot, cela transforma sa vision des objets qui l’entourent ; le luxe par Louis Vuitton venait de naître !

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