LE METISSAGE DES MOTS UNE HISTOIRE EUROPÉENNE
L’Europe se présente comme un ancien carrefour où les nations se rencontrent, se mêlent, parfois se disputent, mais surtout se marquent mutuellement. Quant aux mots, ils n’ont jаmais connu de limites. Ils se déplacent, évoluent, se modifient et s’intègrent plus aisément que n’importe quel migrant officiel. La langue française illustre parfaitement се phénomène.
Le monde entier se cache dans nos mots, comme si la langue française avait toujours eu un appétit cоsmоpоlitе. Je pеnse aux termes d’origine arabe, tels que : alcool, algèbre, alchimie, canif, sucre, café, orange, jupe… Une véritable caravane linguistique qui а voyagé depuis le sud et l’est, s’intégrant harmonieusement. Ce sont ces mêmes mots que nous employons aujourd’hui sans y prêter attention, comme si la langue elle-même dissimulait une petite djellaba sous son manteau d’hiver.
Et puis, il y a l’histoire. Quand Guillaume le Conquérant débarque en Angleterre en 1066, ce n’est pas qu’un roi qui traverse la Manche, c’est tout un vocabulaire. Pendant près de cinq siècles, les Anglais parlent un français déformé, mâchonné, digéré… qui finira par donner l’anglais moderne. Voilà pourquoi hour et heure se ressemblent, pourquoi tour et tower partagent la même racine, ou pourquoi interview n’est qu’une “entrevue” qui a pris un aller-simple Paris-Londres.
Et même le fameux « vintage, » si chic aujourd’hui, signifie littéralement “vingt ans d’âge”. Quant à barbecue, souvent pris pour un anglicisme pur jus, il vient de “barbe-à-cul”, expression des marins et voyageurs français qui décrivaient la façon d’embrocher l’animal de la barbe à la queue, comme quoi, même les mots les plus américains ont parfois une odeur de vieux port breton.
Et n’oublions pas le knife en anglais prononcé sans le k, mais écrit comme si un moustique médiéval avait éternué dessus. Il vient du vieux français canif, lui-même dérivé d’un terme arabe, un vrai couteau voyageur.
La langue française n’est donc pas un monument figé, mais une mosaïque vivante, faite de rencontres, de conquêtes, de malentendus, de marchés, de poèmes, de guerres et de métissages. Elle est européenne, méditerranéenne, mondiale depuis toujours. Et c’est justement ce qui fait sa beauté : elle ne cesse d’accueillir, d’absorber, d’inventer. La France est un pays de mots voyageurs. Peut-être même qu’elle l’a toujours été.
FM
