À L’HEURE AMERICAINE DU TEMPS TOTALITAIRE

Le temps, cette denrée rare que tout le monde perd, mais que personne ne veut partager, que jadis, on mesurait avec des cadrans solaires et un peu de philosophie. Aujourd’hui, on le compte en notifications, en “deadlines” et en “likes”. L’heure n’est plus à la contemplation, elle est à la synchronisation mondiale du totalitarisme digital américain.

Les États-Unis, ces horlogers de l’instantané, ont remplacé la trotteuse par le pouce qui scrolle. Leur « Big Ben » s’appelle Google, leur coucou suisse, c’est Twitter (ou ce qu’il en reste). Là-bas, on ne regarde plus le temps, on le consomme. À 9:00, on fait un meeting ; à 9:02, on licencie ; à 9:05, on poste un selfie de motivation. Le temps, c’est de l’argent, mais surtout, c’est le leur.

Pendant ce temps (justement), la Suisse, éternelle gardienne du tic-tac « deux calories par tic », continue de planquer les secondes et les dollars de l’humanité dans ses coffres bien huilés. Depuis des siècles, les Helvètes ont perfectionné l’art de ralentir le monde : une minute suisse dure plus longtemps qu’une journée new-yorkaise. C’est l’horlogerie de l’éternité contre le chronomètre du chaos.

Mais, voilà que l’Amérique, vexée de ne plus savoir lire une montre sans écran tactile, décide de taxer la ponctualité helvétique. Trump, grand maître du sablier inversé, s’était dit que si le temps, c’est de l’argent, autant le taxer aussi. Résultat : les montres suisses ont filé comme des voleuses avant l’application des tarifs. Un dernier coup d’œil à Genève, un dernier tic-tac pour la route, et hop ! direction les ports, avant que la douane ne déclare la guerre du quartz ou du couac, c’est selon…

Désormais, les montres suisses ne battent plus qu’à 7,9 % de leur rythme américain d’antan, comme un cœur de Rolex en exil. Mais qu’importe : la Chine, elle, a encore du temps à vendre.

Et nous, nous restons là, coincés entre deux fuseaux horaires, l’un qui court, l’autre qui compte. L’Amérique a pris le contrôle du présent, la Suisse celui de l’éternité. Quant à nous, nous essayons juste de ne pas arriver en retard à notre propre disparition.

FM