NOSTALGIE SUR LA MODE
Le secteur de la mode est en voie de disparition, » nous susurre Yoji Yamamoto. Je le dis moi aussi sans colère, sans nostalgie, simplement comme on constate la fin d’une saison. Je regarde ce monde que j’ai tant aimé, et que je ne reconnais plus. Les grandes maisons sont devenues des empires, mais ces empires se vident de leur âme. La mode n’est plus une conversation avec le corps, c’est un spectacle, un marché, un cri. Les créateurs courent après quelque chose, et les grandes entreprises sont comme des enfants qui jouent au football, elles ne font que courir après le ballon et oublient leurs clients.
Je n’ai jamais aimé courir, j’ai préféré marcher lentement, écouter le bruit du tissu, regarder comment la lumière glisse sur un noir parfait. Aujourd’hui, le monde court trop vite pour voir ces choses-là. Je pense juste qu’elles ont trop d’argent, et qu’elles n’ont donc plus besoin de travailler dur. L’argent leur tombe toujours du ciel. L’argent est un dieu cruel, il promet la liberté, mais il tue la sincérité.
Quand on crée pour vendre, on cesse de créer pour dire, je ne suis qu’un vieux Japonais qui a trop vu. J’ai aimé la solitude, les visages silencieux, les vêtements qui protègent plutôt qu’ils n’exhibent, mais ce monde-là s’éteint doucement, comme un fil que l’on coupe sans bruit. Si la vraie mode doit disparaître, alors qu’elle parte dignement avec un dernier souffle de beauté, un dernier pli de vérité.
Et comble de l’absurdité, voilà qu’ils réinventent un diplôme de « petite main », parce que leurs masters, créés quelques années plus tôt, n’ont pas produit ce qu’ils espéraient : des ouvriers du rêve, devenu des artisans du silence. C’est toujours fascinant de voir des gens avec deux mains gauches, décider pour ceux qui savent encore coudre, dans un secteur qu’ils ne connaissent qu’à travers l’œil-de-bœuf du restaurant Costes.
FM