LOUIS VUITTON SON ARRIVÉE A PARIS

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Il entra dans Paris à la fin de juillet 1837, et quelle ne fut pas sa surprise de découvrir une ville sale, puante, désordonnée, pleine de mendiants, de pauvres vivants au sol, d’autres affligés de maladies diverses, de gamins errants, vêtus de haillons pires que ceux qu’il portait au moulin.

Une partie de la population semblait complètement à l’abandon, et l’odeur pestilentielle, mélange d’urine et de pourriture, prenait aux narines jusqu’à donner la nausée. La chaleur n’arrangeait rien. Il demanda son chemin et descendit en direction du cœur de Paris. C’était donc cela, la ville dont il avait rêvé ?

Il découvrit les marchands ambulants, aiguiseurs de couteaux, vendeurs des quatre saisons, jongleurs de rue, et femmes de mauvaise vie qui haranguaient les passants. Il regardait les ruelles pleines de poubelles à ciel ouvert, les cahutes de misère, les petits immeubles dans des impasses plus qu’étroites, et les maisons dont certaines semblaient sur le point de s’effondrer. Tout semblait chaotique, désorganisé, surpeuplé et parfois dangereux.

Ce qui le frappait, c’étaient toutes ces lettres alignées les unes à côté des autres sur les devantures des immeubles. Quels étaient donc ces endroits mystérieux, couverts de signes étranges ? Il comprit que ne pas savoir lire lui fermerait les portes de tout un monde, et il pensa qu’il devait remédier à cela rapidement.

Il savait que ses cousins éloignés habitaient près de la Concorde, et que dans l’adresse, il était question d’une sainte Anne. Il demanda son chemin, mais son accent du Jura ne l’aidait point. Une femme se moqua de lui, riant la bouche ouverte : elle n’avait plus aucune dent. Plus loin, un homme accepta de l’écouter. La Concorde ? Personne ici ne savait où cela se trouvait. Chacun vivait-il donc uniquement dans son quartier ? Enfin, un agent de la maréchaussée le renseigna, il fallait rejoindre la Seine, passer un pont, et se diriger tout droit vers l’ouest.

Après avoir traversé le quai Saint-Bernard, la halle aux vins et ses pavillons impressionnants qui constituaient une sorte de ville dans la ville, pleine d’hommes affairés à charger et décharger des caisses et des tonneaux, il découvrit enfin la Seine. Un énorme fleuve, très animé, avec nombre d’embarcations, dont certaines fragiles, mais aussi une foule au bord de l’eau. Il s’assoupie pour sa première nuit dans la capitale.

Ainsi, lors de sa première nuit à Paris, il perdit tout. La boule de buis de son ami, celle qui l’avait sauvé du loup, le couteau donné par le menuisier, son gilet de mouton, sa piécette d’or, ses souliers de cuir, et même les sabots de son pays d’enfance, qu’il avait gardés précieusement. Il faisait nuit et il était en pantalon et chemise, laquelle s’était déchirée pendant le combat pour se défendre des voleurs.

Il se sentit submergé par la tristesse. Ce qui lui faisait le plus de peine, ce n’était pas la piécette d’or en laquelle il avait placé tant de rêves, non, c’était ses sabots qui lui avaient fait si mal aux pieds pendant son voyage, et la balle de buis de son copain Souret. Il mesura à quel point on peut s’attacher à certains objets, et étrangement quand on y met de soi-même, l’objet prend une importance plus grande encore…

Il finit par trouver  la rue Sainte-Anne, les immeubles comportaient tous quatre ou cinq étages et semblaient bien construits. Ses cousins habitaient-ils un quartier cossu ? Les pavés de bois, qui couvraient le sol, l’étonnèrent beaucoup. Il s’agenouilla, les toucha. Du bois pour paver les rues, plutôt que de l’utiliser pour se chauffer, ou pour construire des maisons et du mobilier ? Un homme, une torche à la main, cria : «Feu, feu, j’ai le feu, mesdames, j’ai le feu, messieurs, allumez vos chandelles. Louis lui demanda s’il connaissait la famille Vuitton, Oui, répondit l’homme, et lui montra l’entré d’un immeuble.

Il entra, frappa à la porte du rez-de-chaussée. Une jeune femme, pas plus de vingt ans et trois enfants en bas âge accrochés à ses jupes sales, lui indiqua qu’il devait monter au troisième étage. Ce serait le deuxième appartement à droite.

Louis grimpa l’escalier et frappa à la petite porte de bois. Un homme lui ouvrit, aussi grand que lui, peut-être âgé de cinq ans de plus, en habit de nuit. Il était encore tôt.
— Vous êtes ?
– Ton cousin Louis, fils de Xavier Vuitton. J’arrive de notre moulin d’Anchay.
— Mon cousin ? La dernière fois que j’ t’ai vu, t’étais haut comme trois pommes.
Louis sourit.
— Dis donc, dit-il en détaillant sa chemise et ses pieds nus, tu es en bien sale état !

L’appartement était exigu et seulement éclairé par une minuscule fenêtre. Immédiatement, Laurent lui servit du vin tandis que Constant et Frédéric lui faisaient raconter ses aventures.

Ses trois cousins vivaient là, partageant le même lit, et ils étaient bien, ayant chacun un métier et un «gagne-pain».
— Qu’est-ce que tu sais faire ?
— Je connais le bois, répondit Louis.
– Quand on connaît le bois, on peut travailler ici, lui dit Constant.
Laurent farfouilla dans un tas de vieilles affaires et en sortit une paire de chaussons bien abîmés.
-T’as qu’à mettre ça.
— Tu as de l’argent? demanda Frédéric.
— Non. J’avais une pièce d’or, on me l’a volée.

Constant, un des deux cousins à l’avoir le mieux accueilli, lui enseigna le métier d’emballeur. Toute la journée, il allait proposer ses services de magasin en magasin. Sa technique était simple : posté dans une rue commerçante fréquentée par les aristocrates et les bourgeois, il attendait de voir un client sortir d’une boutique pour y entrer aussitôt et proposer l’emballage. La plupart du temps, cela fonctionnait, sauf quand le marchand pouvait se payer un emballeur à demeure.

Louis fit donc ses armes aux côtés de son cousin, apprenant les subtilités du métier et l’emploi des différents matériaux d’emballage. Le papier journal faisait merveille pour les assiettes et les verres, agrémenté de paille pour éviter le contact entre les différentes pièces et amortir les chocs lors du déplacement. En revanche, pour les objets de porcelaine pourvus d’anses ou de détails rapportés, les soupières, les saucières, les tasses, les cafetières, il fallait prévoir plusieurs couches et différentes matières.

L’art du pliage assurait que chaque objet soit bien maintenu par un papier qui ne bougerait pas, ne se déferait pas. Louis assistait Constant à la manière d’un apprenti, étonné chaque fois par les boutiques où il entrait, qui vendaient ici du tissu, là des frivolités, de la quincaillerie ou de la mercerie, quelquefois des flacons de pharmacie qu’il fallait protéger pour les livrer à un médecin. Les objets particulièrement fragiles étaient placés dans une caisse en bois.

FM

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