KENZO TAGADA A MA MÈRE
Nous touchions enfin la terre d’Osaka, vaste ruche de métal et de vent, escortés d’une cohorte de journalistes et d’une légion de mannequins venus d’Amérique et de France. L’aéroport tout entier bruissait comme un océan soulevé par le tumulte des courants qui lèchent les côtes du Japon : la Haute Couture parisienne, débarquant en un cortège éclatant, et éveillait dans la foule un tumulte qui rendait les services de sécurité fébriles et presque farouches.
Quand soudain, dans ce fracas de voix et de lumières, surgit une silhouette improbable : une vieille femme Japonaise vêtue du kimono ancestral, avançant avec la lenteur sacrée de deux mille ans d’histoire. On eût dit une apparition, un souffle surgissant d’un film de Kurosawa, une parenthèse de poésie glissée au milieu du vacarme des hommes.
Le temps, un instant, suspendit son battement. Puis, il reprit, pesant, les agents de sécurité, découvrant qu’elle n’appartenait à nul protocole, se ruèrent et l’arrêtèrent à deux pas de mon père. Elle criait, dans une langue qui vibrait comme un chant antique, des mots dont il ne saisissait pas le sens.
« Que dit-elle ? » demanda Jacques Mouclier à sa traductrice.
« Elle vous remercie pour son fils, Monsieur Mouclier. »
Alors papa fit un signe qu’on la laissât approcher. Elle s’avança toute menue, fragile, drapée de cette majesté que confère la souffrance heureuse des mères. Fouillant dans son kimono, elle en tira une petite boîte à pilules, délicate et nacrée, et la déposa entre les mains de mon père comme on dépose un trésor sur un autel.
« Pour vous, Mouclier-san, vous qui avez fait de mon fils une personnalité reconnue au-delà des mers et des nations… pour mon fils, Kenzo Takada… DÔMO ARIGATÔ GOZAIMASU… » répétait-elle sans cesse dans sa voix usée comme un fil d’or par le temps. Et ses mots, si simples, pesaient soudainement plus lourd que toutes les parures que nous avions apportées. Jamais femme n’avait autant ému mon père ; et dans le frémissement silencieux de cette aérogare, il comprit soudain que la gratitude d’une mère traverse les siècles, les océans et les empires comme une vérité plus forte que la gloire.
FM
