L’ÈRE DE L’OPINION SANS MÉTIER
Nous vivons une époque admirable : chacun y est spécialiste de tout, à condition de n’avoir jamais rien pratiqué. Le savoir y est jugé suspect, l’expérience arrogante, et la compétence, franchement indécente. Il suffit désormais de parler pour exister, et mieux encore : de parler mal, et surtout en abondance. L’opinion est devenue une carrière, et l’ignorance, une posture.
Ainsi donc, la Chine, ce pays que l’on disait si peu porté sur la fantaisie, vient de commettre l’impolitesse suprême : demander des compétences à ceux qui parlent de sujets qu’ils ne connaissent pas. Oui, des compétences ! Des diplômes, du savoir, du métier, l’horreur absolue pour une ère moderne où l’opinion se porte comme une casquette et la légitimité se télécharge avec un filtre.
C’est donc à compter du 25 octobre 2025 que les prophètes autoproclamés, les spécialistes nés entre deux stories, les experts en tout et spécialistes en rien, dont la seule qualification est d’avoir parlé plus fort que les autres, seraient bannis de la Chine. En somme, la Chine a osé rappeler que le sérieux n’est pas un hobby du dimanche.
Pendant ce temps-là, chez nous, en Europe, le marché de l’emploi s’est mué en kermesse. Jadis, on rêvait d’être rocker sans autotune, ce qui, soit dit en passant, demandait au moins une guitare et quelques accords. Aujourd’hui, on rêve d’être influenceur, profession dont le principal outil est la certitude inébranlable d’avoir raison sans savoir pourquoi. La génération Z, nous dit-on, ne veut plus apprendre un métier mais devenir un avis. 90 % des jeunes le souhaitent et c’est un pourcentage qui donne le vertige et la migraine aussi. Jamais l’humanité n’a produit autant de créateurs de contenus avec si peu de cerveaux remplis.
Mais, imaginons un tout petit instant que cette règle s’applique ailleurs, à la mode française par exemple. Finies les révélations spontanées, les génies surgis d’un moodboard ou d’un lit d’une soirée arrosée plus que de raison. Finis les couturiers sans couture, les designers sans dessin, les directeurs artistiques qui confondent création et citation. Finis les imposteurs bien coiffés qui parlent de coupe sans jamais avoir tenu des ciseaux, et sans jamais avoir touché un tissu. On entend déjà les cris : « Mais l’audace ! » « Mais l’instinct ! » « Nous sommes autodidactes ! » Comme si l’instinct remplaçait l’apprentissage, et l’audace le travail.
Autrefois, on savait au moins de quoi l’on parlait, et l’on se taisait avec dignité quand le sujet nous était inconnu. Aujourd’hui, on parle d’économie sans comprendre la création, de création sans comprendre le dessin, et de design comme d’un slogan. La Chine, au fond, n’a rien créé de neuf : elle a seulement remis à l’endroit une idée de jadis avec du bon sens car pour eux la parole devrait venir après le métier. Une idée si inconvenante que les wokistes la confondent désormais à un bâillon. Courteline en ferait une farce. Quant à nous, nous en faisons l’expérience quotidienne.
FM
