SHEIN, TEMU ET LE SPARADRAP RÉGLEMENTAIRE EUROPÉEN
L’Europe, ce grand paquebot bureaucratique qui met parfois quinze ans à virer de bord, vient de dégainer sa réponse historique à la dévastation du prêt-à-porter européen, et arme une pièce de monnaie, face aux 4,6 milliards de colis qui déferlent chaque année, à raison de 145 par seconde, L’Union a donc sorti son arme secrète: le forfait d’un café allongé.
À Pékin, Shenzhen ou Hangzhou, on imagine déjà les cadres de Shein et Temu s’étrangler… de rire. Rire jaune, bien sûr, pour rester dans la chromatique diplomatique. Car la scène est savoureuse d’un côté, des plateformes chinoises capables d’optimiser la logistique mondiale au micron près, de produire une robe en douze minutes et de l’expédier à l’autre bout du monde pour le prix d’un sandwich Paris beurre sans jambon. De l’autre, l’Europe, qui répond avec un tampon fiscal à trois euros, applicable en 2026, après consultation et probablement une pause déjeuner.
Trois euros donc, pour sauver le prêt-à-porter français et européen. Autant dire un sparadrap sur une hémorragie, mais un sparadrap réglementaire, donc rassurant. Voilà donc l’équilibre est rétabli. Les ateliers européens rallument leurs machines, les couturières sourient, les savoir-faire renaissent. Rideau. Standing ovation.
Sauf que non ! Car pendant que Bruxelles invente la taxe à l’unité comme on inventerait la taxe à la goutte d’eau pour stopper un tsunami, la réalité industrielle européenne continue de s’effilocher, point après point. On parle de normes, de souveraineté, de sécurité des consommateurs. Très bien. Mais on évite soigneusement de parler de stratégie industrielle, de relocalisation crédible, de politique textile digne de ce nom. Trop compliqué. Trop long. Trop risqué électoralement.
Alors on fait ce que savent faire les dirigeants incapables de penser le long terme: ils symbolisent. Ils annoncent. Ils communiquent. Ils se félicitent. « Victoire majeure », dit le Grand « Riz Volant. » devant les bureaux de l’Europe, pour faire croire que la bataille de Waterloo s’est jouée avec des cuillères.
Le plus délicieux reste le détail technique: si vous commandez cinq chemises identiques, un seul forfait. Mais, si vous osez glisser un câble de chargement dans le colis, paf, une catégorie de plus. La douane devient soudain une leçon de rangement. Marie Kondo version fiscale.
Pendant ce temps, 91 % des colis qui viennent de Chine continuent à déferler sur le continent européen. Pas un détail, non. Une statistique polie, énoncée calmement, comme si elle n’était pas un aveu. Aveu que l’Europe consomme ce qu’elle ne produit plus, réglemente ce qu’elle ne maîtrise plus, et taxe ce qu’elle n’a pas su anticiper. Alors oui, en 2026, chaque petit colis paiera son obole. Les plateformes ajusteront leurs algorithmes. Les consommateurs hausseront les épaules. Ainsi, le prêt-à-porter européen, lui, continuera d’attendre autre chose qu’un pourboire politique.
Trois euros c’est peu pour un colis, c’est dérisoire pour une industrie, et c’est peut-être le prix exact de l’impuissance déguisée en action.
FM
