CHEVALIER DU CLAIR-OBSCUR

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Ils s’en vont, un à un, ces visages qui furent les phares de notre jeunesse. Les acteurs de nos après-midis d’adolescents, les héros de nos songes et de nos premières émotions, tombent soudainement dans le silence. Ils s’éteignent comme des astres que l’on croyait immortels, et dans leur disparition, c’est un peu de nous-mêmes qui se retire. Car à travers eux, nous mesurons le temps sans le voir passer : leurs rides, leurs cheveux blanchis, leurs adieux au monde du spectacle étaient les avant-gardes de notre propre vieillissement. Lorsqu’ils meurent, c’est notre enfance qui ferme les yeux.

Chaque disparition célèbre réveille en nous un frisson intime, celui de notre propre fin. Non que nous craignions la mort comme une bête tapie dans l’ombre, mais elle se fait soudain tangible, familière, presque domestique. Elle passe à travers l’écran, s’assoit un instant à nos côtés, et nous murmure : « tu es de la même étoffe que ceux qui s’en vont. » Le cœur se serre, non de peur, mais de reconnaissance. Nous comprenons alors que la mort n’est pas l’ennemie, mais la sœur de la vie, celle qui lui donne son prix, sa lumière, son urgence.

Victor Hugo écrivait : « Ceux qui vivent, ce sont ceux qui luttent. » Peut-être faut-il ajouter : ceux qui se souviennent vivent encore davantage. Se souvenir, c’est lutter contre l’effacement. C’est refuser que ces visages aimés tombent dans l’oubli, et c’est aussi s’arracher soi-même à la grande indifférence du temps. Car en évoquant ces acteurs disparus, nous nous rappelons à nous-mêmes : nous aussi, nous avons existé, vibré, ri, aimé à travers eux. Leur mort nous apprend notre humanité ; leur absence, notre passage.

Chaque tombe nouvelle n’est pas un rappel macabre, mais une invitation à vivre plus pleinement, à goûter le présent comme un vin rare. Et lorsque le dernier acteur de nos vingt ans aura quitté la scène, il restera certainement en nous cette phrase muette, cette certitude apaisée : nous sommes, pour un instant encore, du côté de la lumière.

FM