CE QUE VOIENT LES FOUS
L’homme, plongé dans sa contemplation, le front contre la vitre, sursauta en entendant la question du psychiatre.
Vous ne vous lassez pas de fixer ce mur blanc, Vincent ?
La voix était douce, faussement bienveillante, celle qu’on réserve aux enfants ou aux fous, parfois aux deux à la fois. Vincent ne répondit pas tout de suite. Il resta immobile, la respiration lente, comme s’il craignait que le moindre mot fasse s’effondrer le monde fragile qu’il avait devant lui.
Il finit par tourner la tête, lentement, et jeta sur le médecin un regard apitoyé. Pauvre homme. Encore un qui avait des yeux pour voir et qui ne voyait pas. Le mur du parc n’était pas blanc, il ne l’avait jamais été. Il était violet. Violet, profond, vibrant, comme s’il avait été peint avec le reste de son âme. Et au-delà, derrière cette barrière sur laquelle se terminaient les regards des gens raisonnables, s’étendait la prairie orange, cette mer de feu paisible où tout vivait, où tout brûlait avec douceur. Les peupliers s’y balançaient, auréolés de lumière, et le ciel, ce vaste manteau grenat, respirait doucement au rythme du vent.
Vincent le voyait. Il n’avait jamais rien vu d’aussi beau. Il se disait que si Dieu existait, c’était peut-être cette lumière-là qu’il avait voulue, et non celle, froide, des hôpitaux.
Le médecin, lui, fronça les sourcils. Il suivit la direction du regard du peintre, ne vit que le mur, le plâtre, les fissures, la banalité, et soupira. Il nota quelque chose dans son carnet, machinalement, puis prépara la seringue.
Vous êtes fatigué, Vincent. Il faut dormir un peu.
La phrase tomba comme une sentence. L’aiguille s’enfonça dans le bras de l’homme.
Vincent sourit, pas à lui, non, mais au-delà, à cette lumière qui commençait déjà à s’éteindre. Il murmura quelque chose sur le violet et sur l’amour, puis sa tête retomba doucement contre la vitre.
Le médecin, en refermant le dossier, écrivit sans lever les yeux :
« Vincent Van Gogh : poursuivre les douches froides. »
Et le mur, derrière lui, resta violet, mais seulement pour celui qui savait encore rêver.
FM