DIOR LA PYRAMIDE RENVERSÉE

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Dans un triangle suspendu dans les airs, comme une étoile renversée, elle s’illumina lentement dans les ténèbres. Sa pointe dirigée vers la terre paraissait aspirer les songes d’un autre monde ; sur ses faces se reflétaient les images du Maitre de Grandville, souvenirs dissipés d’un fondateur devenu spectre. Ce n’était point un simple décor : c’était la mémoire elle-même, illuminée d’éclats psychédéliques, comme si l’ombre d’un homme eût voulu parler encore à ses héritiers. Les spectateurs, muets, fixaient cet oracle de verre et de lumière. Mais, l’éclat, soudain s’éteignit, et des ténèbres jaillit la lumière première, semblable à l’aube traversant les ruines d’un temple antique.

Alors naquirent les robes : elles surgirent une à une, avec la gravité d’un rite, sous la main d’Anderson, ce Britannique plus britannique que sa patrie. Chaque couture semblait une prière cousue au fil d’or. Les cornettes de nonne, et les tricornes revisités, tout droit sortis du siècle de Voltaire, donnaient un air religieux. au défilé. Les nœuds posés comme des stigmates sur les corps évoquaient une liturgie, sorte de religion nouvelle, où l’aiguille tenait lieu de crosse et le mannequin de pénitente devant l’homme de Tolède. Anderson écrivait avec ses étoffes un Évangile de chair et de soie, un chapitre neuf dans le livre sacré de Monsieur Dior.

Mais, l’extase bientôt se troublait : des culottes bouffantes, hideuses comme les caricatures de la vanité humaine, vinrent se mêler aux visions. Puis, une pluie de sacs tomba des hauteurs ; non plus manne céleste, mais pluie d’or qui nourrissait la maison comme un veau sacré. Et au « front Row » Delphine, chimère étrange, oscillait entre un acteur d’ivresse « Sauvage » et une première dame compassée. le Président de la couture lui-même, relégué au second rang, apparaissait tel un pénitent qu’on tient à distance du sanctuaire.

Ainsi, s’acheva le spectacle : un temple éclatant dressé pour une foi incertaine, une pompe somptueuse où l’on pressentait encore l’ombre inquiète du fondateur. Peut-être n’était-ce là qu’un prélude, une aurore fragile. Peut-être, dans le silence des siècles, Christian Dior lui-même, du haut de sa gloire disparue, sourira à ce jeune prêtre des étoffes qui cherche encore sa voie.

FM