BALENCIAGA ARCHÉOLOGUE OLFACTIF
Voilà Balenciaga qui « replonge » dans le parfum comme si la maison n’avait jamais trempé qu’un orteil dans cette mer olfactive. Et comme la renaissance d’une épiphanie parfumée, sorte de « pont entre le passé et l’avenir », la maison joue les archéologues du luxe, et finit par creuser un tombeau plutôt qu’un horizon.
La liturgie habituelle des archivistes, en quête du Graal perdu, un flacon poussiéreux de 1947, en hommage à l’âme » de la maison avec cette obsession de la réplique « authentique ». Mais, quelle authenticité reste-t-il quand on recompose à la pipette, dans un laboratoire bardé de machines high-tech, une formule dont le charme était précisément lié à son époque, à ses matières premières, et à ses défauts mêmes ? Refaire « Le Dix » aujourd’hui, c’est comme repeindre une fresque Renaissance avec des pigments synthétiques sur une imprimante 3D.
Puis, il y a cette inflation de storytelling : « fusion », « tension », « innovation », « savoir-faire »… sorte d’arsenal de termes gonflés à l’hélium pour masquer une évidence : on ne relance pas le parfum par pure passion créative, mais parce que le marché du luxe ne tolère aucun territoire vacant. Hermès a son « Hermessence », Chanel « Les Exclusifs », Dior ses « Collection Privée » ; il fallait bien que Balenciaga ait son « moment » de haute parfumerie.
Quant à la boutique, temple gris bétonné où cuir et acier cohabitent comme dans une cathédrale brutaliste du marketing, elle joue la carte du sacré pour un retour aux sources paradoxalement surdessiné. Le rituel est complet : flacons vieillis à dessein, ficelle de scellage noués à la main comme les hosties parfumées de madame Dubarry, miroirs XVIIIe pour donner le frisson patrimonial… Tout est calculé, jusqu’à la patine. Rien ne doit respirer le hasard, du plaisir d’avoir un accident de vécu.
Et les noms des parfums ! « No Comment », « To Be Confirmed », « Twenty Four Seven »… Voilà donc la grande poésie olfactive du XXIe siècle : des intitulés dignes de réunions Zoom. Mise en scène du passé, emballée dans le lexique ronflant de l’innovation. L’encens brûle, les miroirs reflètent, les discours s’élèvent : mais ce qui apparait n’est pas l’esprit, mais l’ombre d’un passé si brillant.
FM