LES ESCARPINS DE MINUIT

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Dans une suite discrète de l’hôtel Ritz, une femme d’un monde certain, Anne Ydride de Saudium attendait un opportun, certainement. Sur une table basse, un écrin de velours prune trônait comme un trésor. Ce n’était pas un bijou. C’était mieux. C’était une paire de chaussures.

Pas n’importe lesquelles : des escarpins sur mesure, réalisés par la maison italienne Velluto Nero, connue pour ne chausser que sept femmes dans le monde chaque année. Des chaussures faites à la main, en cuir de cerf tanné à l’ombre des Dolomites, ornées d’un fil d’or cousu point par point dans sa doublure, invisible à l’œil nu, mais perceptible à chaque pas, comme un secret chuchoté à même la peau. Ces souliers n’avaient pas de logo apparent, c’est le luxe ultime de ceux qui savent.

Anne les avait commandés un an plus tôt. Il avait fallu trois moulages de son pied, un voyage en hélicoptère pour une séance d’essayage dans un ancien couvent transformé en atelier, et dans un silence total. La maison Velluto Nero exigeait que ses clientes n’évoquent jamais leur expérience sur les média sociaux, pas de photo non plus, rien, car pour la maison le silence valait de l’or.

Le soir même, Anne les porta au bal de la fondation Kharimov, sur un yacht amarré à Capri. À minuit, elle descendit l’escalier principal, et toutes les têtes se tournèrent, pas pour sa robe, ni pour ses bijoux, mais pour ses petits pas de chatte.

Il y avait dans sa démarche quelque chose d’indescriptible, une sorte de musique silencieuse émanait, comme un battement rare, de l’empreinte du luxe véritable, celui qu’on ne peut ni acheter facilement, ni comprendre sans l’avoir vécu.

Ce soir-là, une autre femme riche, très riche, sorte de bimbo toute droite sortie d’une publicité pour un chirurgien inesthétique osa lui demander :
Mais d’où proviennent vos chaussures ?
Anne sourit doucement.
Elles ne viennent pas. Elles appartiennent.

Puis, elle s’éloigna, laissant derrière elle une traînée de mystère, l’odeur très discrète du cuir et de la vanille noire, le sillage du luxe que dans certains groupes, on a oublié complètement.

FM