L’ÉLÉGANCE DE LA FRACTURE
J’ai toujours été vu comme quelqu’un de différent, pas étrange, ni marginal au sens classique du terme, simplement trop vrai, peut-être, en tout cas trop direct. Incapable de travestir mes pensées en sourires polis ou en silences complices, j’offrais mes vérités comme on tend un miroir, et certains n’aiment pas leur propre reflet. Alors, doucement, sans cri ni drame, j’ai été mis de côté. Écarté des cercles où l’on danse sur des non-dits, ignoré dans les foules sur lesquelles les mots pèsent moins que les masques.
Hors-jeu non brutal, car la société est plus subtile que cela, c’était un effacement lent, un recul des regards, une invitation qui ne vient plus. On me tolère, mais de loin, on m’écoute, mais sans m’entendre, on me classe dans cette catégorie floue très française : “pas comme les autres”.
Cela aurait pu me blesser et cela l’a, parfois, été, mais pas au point de me briser, car chaque matin, il y a ce rendez-vous intime, sincère, avec moi-même. Ce moment devant la glace dans laquelle je me regarde sans détour, sans honte, et je m’y plais. Pas dans une illusion de perfection, mais dans la fierté calme d’avoir été fidèle à qui je suis.
Ce regard-là vaut bien plus que l’approbation des foules. Il m’apaise. Il me donne une joie que rien d’extérieur ne saurait vraiment menacer. Une délectation profonde, celle de marcher droit dans mes pas, même si c’est en marge des chemins tracés par la société. Alors, oui, je suis hors-jeu. Mais, je suis en paix. Et de temps en temps, c’est exactement là que l’on commence à vivre réellement, il m’aura fallu à peu près 67 ans pour arriver à cette caricature de sérénité. Mais cette fracture en latin « luxation », pour parler du luxe, cela me semble de bon aloi.
FM