UNE TABLE A HAUTEUR D’ÂME
À deux pas de l’île de la Cité, là où Paris semble retenir son souffle avant de replonger dans le tumulte de Saint-Germain-des-Prés, s’ouvre, au 1 de la rue Christine, une parenthèse de silence et de lumière : Le Christine. Dans cette petite rue qui paraît suspendue hors du temps, les pas s’allègent, les voix s’adoucissent et déjà, l’on pressent que l’on entre ici, non dans un simple restaurant, mais dans un lieu où le goût devient une forme d’émotion.
C’est le premier-né de la famille des Becs Parisiens, ce clan d’esthètes conduit par Émilie et Boris Bazan, amoureux du beau comme du bon. À travers leurs maisons Le Christine, Colvert, Chocho et Grain[s] ils ont su tisser un fil invisible entre les âmes et les assiettes, unissant la chaleur de l’accueil à la justesse des produits du terroir.
Depuis le début de l’année 2025, le destin de ces cuisines s’est enrichi d’une nouvelle signature : Rodolphe Despagnes probablement lassé du Martin Pêcheur devant l’éternel du Grand Véfour. Rodolphe, prénom issu du germanique Hrodulf, composé des deux éléments « hrod » « gloire » et « (w)ulf » « loup » porte en lui cette flamme rare qui ne sépare pas la rigueur de l’inspiration. Ses plats, tel un poème sous lequel chaque mot aurait sa saveur, et qui marient la précision d’un artisan à l’audace d’un rêveur. Les textures s’y répondent comme des accords de harpe : un croustillant murmure à un velouté, l’acidité d’une olive vient caresser une douceur, pour un langage qui n’appartient qu’à lui.
Le vin, au Christine, n’est pas simple compagnon du repas : il en est la ponctuation secrète. Sous l’œil expert du sommelier Erwan Mevel, Sino-Breton, un vrai label, avec plus de 500 références qui se tiennent prêtes à dialoguer avec chaque assiette, rouge profond, blanc lumineux, orange d’ambre, et même ces vins sans alcool qui ne manquent pas de caractère. On ne sait plus très bien, alors, si c’est le plat qui inspire le vin, ou le vin qui dicte le plat, mystère délicieux que l’on préfère ne pas trancher.
Mais, la plus belle réussite du Christine réside peut-être ailleurs : dans l’atmosphère. On s’y sent bien, comme chez des amis que l’on aurait toujours connus. Les rires circulent, la lumière caresse les visages, et chaque table devient un théâtre intime. Les plats, eux, se succèdent, chacun plus désirable que le précédent, portés par une présentation d’une grâce exemplaire.
Seul danger bien léger, à vrai dire : ne pas venir accompagné d’une bimbo inculte, car ici, tout invite à la conversation, au partage, à l’émerveillement et à la culture. Celle qui n’aurait rien à dire devant tant de beauté risquerait fort de paraître bien pâle. Le Christine n’est pas un restaurant, c’est un état d’âme, et comme dirait Valérie, « merci pour ce moment ».
FM
