LE RETOUR DU BONHEUR DES DAMES

Non classé

Ce fut comme une marée, une poussée de chair et de curiosité, frémissement d’humanité courant dans les rues du Marais. Depuis cinq jours, plus de cinquante mille âmes se sont engouffrées dans le grand vaisseau du BHV, attirées par le nom magique : Shein. Le géant venu de Chine par la route de la soie, comme le messager de la mode « Polaroid » instantanée, pour ouvrir sa première boutique de pierre et de verre. Ainsi, Paris centre, soudainement, s’était remise à battre.

Cette déferlante montaient les escaliers roulant comme on gravit un espoir, les bras déjà pleins de promesses. Il y avait là des jeunes filles aux yeux pétillants, des mères qui riaient, des garçons traînant derrière leurs compagnes, et même des familles entières, émerveillées devant ces montagnes de tissus et d’écrans lumineux. Le panier moyen ? Quarante-cinq euros, dit-on. Mais ce chiffre brut ne dit rien de la fièvre douce qui saisissait les cœurs, ni de cette joie simple, presque enfantine, de toucher, d’essayer, de choisir ensemble.

Et voilà que, pris dans le tourbillon, quinze pour cent de ces nouveaux venus glissaient plus loin, vers d’autres rayons du BHV, comme happés par le souvenir d’un temps ancien : celui où l’on faisait les magasins, où l’on s’abandonnait au spectacle du commerce comme à une fête. Ainsi, par un caprice de l’histoire, Shein ramenait Paris à Paris.

Certains voient dans ce temple éphémère la marque d’un envahisseur, l’emblème d’un monde sans âme. Mais ceux qui s’indignent devraient venir voir ces visages : ces Français, ces Parisiens, qui renaissent à la ville sous les verrières du grand magasin. S’attaquer à Shein, est-ce s’attaquer à eux ? À leur désir de beauté, de nouveauté, de participation à la vie ?

Émile Zola, s’il avait franchi la porte du BHV ce jour-là, aurait reconnu le miracle qu’il décrivit jadis : celui d’un commerce devenu théâtre, d’une boutique devenue poème. Il aurait vu dans cette foule le même élan, cette même émancipation par la lumière, par la couleur, par la possession fugace d’un objet convoité.

Un siècle après « Au Bonheur des Dames », le rêve continue. Le BHV, fidèle à sa vocation, demeure ce lieu d’ouverture et d’humanité, où les foules viennent non seulement acheter, mais exister. Et peut-être, au-delà des polémiques, faut-il y voir le signe d’un besoin plus profond : celui de revivre l’âme de la ville, de retrouver le contact, d’être ensemble, ne serait-ce qu’un instant, dans ce magasin financé par l’impératrice Eugénie, pour un Paris, qui par miracle, respire encore.

FM