DES GRANITS DE BRETAGNE AUX VANITÉS DE PARIS
Je quittais cette Bretagne millénaire, bénie par ce granit, dressée comme une épaule d’éternité, et lorsque le ciel s’embrasa d’un ardent rouge, semblable à l’emballage du Fahrenheit, qui prétend contenir l’infini dans un flacon de verre si dérisoire, quand j’admire ce spectacle de l’aurore. Le grondement du moteur et la puissance rauque du 530 cc roulait dans les ruelles de Pleslin tel un tonnerre venu du fond des âges. Je partais regagner la capitale, et ce départ me rappelait ces matins d’une autre vie, quand, trente ans plus tôt, je m’arrachais à la tiédeur d’un lit pour écrire à celle que je venais de quitter, comme si une heure d’absence creusait déjà l’abîme de l’éternité.
La vitesse et la chaleur de l’été finissant m’entraînaient à pousser la machine au-delà des limites autorisées, comme si l’aube même attisait en moi le désir de fuite de ses trois mois breton. Au détour des lignes droites et des courbes, je songeais à cette aurore de ma jeunesse sur laquelle j’avais inventé le fantôme d’une femme pour l’adorer ; et ce n’est qu’à l’aube de mes quarante ans que j’ai vu ce fantôme prendre chair. Ainsi la vie nous forge des idoles invisibles que nous portons en nous jusqu’au jour où elles daignent se révéler.
Je retourne dans ce royaume voilé d’oracles muets où beaucoup souffrent de dysorthographie. Courtisans de pacotille qui prétendent incarner l’éternité de la mode, alors qu’ils ne sont que des incarnations provisoires, suspendues au fil fragile des saisons. Les uns se prosternant devant des Stylistes disparus comme devant des reliques saintes ; les autres s’agenouillent devant des sacs à main, sorte de tabernacles en cuir ciselés par quelque Torquemada du luxe qui font Mumuse.
Dans les courbes de Domfront, je lançais de nouveau ma monture, et mes yeux se posèrent sur l’église Romane dont les pierres ne célébraient plus Dieu, mais l’orgueil des hommes et de Catherine de Médicis qui continue d’alimenter les débats sur le point de connaître sa responsabilité dans le massacre de la Saint-Barthélemy. Là, dans la pénombre, la silhouette des Didier Grumler flottent comme le sillage d’un parfum trop cher pour n’avoir jamais gardé une odeur d’honnêteté. Me voici déjà à Paris, ville ouverte aux embouteillages avec dix kilos de plus, mais que faire d’autre quand on attend sa bien-aimée ? Que de faire pitance ainsi que s’abandonner aux excès de Bacchus
FM