TALONS AIGUILLES ET VERNIS KITSCH
Derrière son vernis kitsch assumé, ses néons criards et son style rutilant comme une vitrine de Midtown un vendredi soir, la dernière production de Ryan Murphy, portée ou avalée par la Kim Kardashiante, ne raconte au fond qu’une seule chose : la guerre acharnée que se livrent des femmes prêtes à endosser n’importe quel métier, du plus prestigieux au plus improbable, pour ne plus jamais retomber dans l’abîme gris de l’anonymat. C’est la Working Girl, des bas fonds de la rue St-Denis, et un ersatz du film de Mike Nichols, sorti en 1988, avec Melanie Griffith, Sigourney Weaverde où chacune rêve moins de réussir que de ne jamais disparaître.
Avec son trio d’avocates carnivores, incarnées par un casting démesuré, Murphy propulse sa série au centre des conversations comme un shoot d’ambition pure. C’était sur Disney+ le 4 novembre dernier, un pseudo-ode au pouvoir féminin ressemblant à un manuel de survie en territoire patriarcal. On ne s’élève pas, on grimpe aux rideaux en talons « Louboucatin » de douze centimètres, on dévore, on ronge, on s’arrache chaque centimètre carré de visibilité comme s’il s’agissait d’oxygène.
Dans les couloirs aseptisés des cabinets et sur les bancs glacés des tribunaux, Allura Grant (Kim Kardashian), Dina Standish (Glenn Close) et Liberty Ronson (Naomi Watts) se battent moins contre des divorces que contre l’invisibilité qui menace toute femme dépassant la quarantaine. Leurs dossiers deviennent des accessoires, leurs clients des prétextes. Ce qu’elles plaident vraiment, c’est leur droit à rester sur le devant de la scène. À rester désirées. À rester nommées.
Et pour cela, elles dégainent l’uniforme sacré des héritières de Working Girl : le power dressing hypertrophié et rechargé à la testostérone textile. Talons-aiguilles comme armes blanches, cuir exotique pour ambition SM, haute couture vintage comme médaille d’anciennes combattantes de la Fashion.
Les épisodes déroulent une procession de tailleurs épaulés, de jupes crayon aux coupes chirurgicales, d’armures textiles tout droit sortie des années 1980 et des ateliers de Thierry Mugler qui savaient encore draper les femmes d’un pouvoir qui n’avait pas besoin d’algorithmes pour exister. Il était l’un de ces couturiers, dernière génération, à comprendre comment amplifier l’aura professionnelle des femmes sans les transformer en panneaux publicitaires.
Car au fond, dans cette série, la mode n’est pas un détail, c’est un champ de bataille, un territoire dans lequel ces femmes rejouent chaque matin la même scène, la même question : jusqu’où faut-il aller, jusqu’à quel métier, jusqu’à quelle caricature de soi-même, pour ne plus jamais redevenir anonyme ?
FM

