LE LABUBU CHARME INDISCRET DU CAUCHEMAR MIGNON

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On croyait avoir épuisé toutes les formes de la laideur charmante, les Funko Pop, ou ces poupées Chucky qu’on expose comme des trophées de notre époque sentimentale. Et puis, un matin, venus de quelques officines de l’Est asiatique, sont apparus les « Labubu » : petits démons de peluche conçus par un certain Kasing Lung, poète au scalpel, génie taciturne qui semble avoir grandi dans un conte de Grimm censuré par Freud.

Les Labubu ont cette allure de chimère moderne : un lapin sous amphétamines, un Gremlins qui aurait fréquenté un pensionnat de poneys arc-en-ciel, un troll scandinave privé de sommeil et de thérapie… Leur sourire carnassier, leurs yeux hallucinés, leurs oreilles d’elfe insomniaque et leur petit corps de bébé mutant prêtent à l’ambiguïté : faut-il les embrasser, les brûler ou leur faire lire Rimbaud ?

Chaque nouvelle apparition d’un Labubu provoque des scènes de délire consumériste dignes des premiers jours de soldes chez Hermès. Des adolescents campent devant les temples de Pop Mart, des serveurs s’effondrent sous le poids de la convoitise, les prix flambent comme des actions de start-up avant la faillite. Un Labubu rare se négocie parfois à des sommes que ne renierait pas un courtisan de la Silicon Valley et l’on raconte que certains passionnés vendraient sans remords un rein, ou une belle-mère, pour acquérir ce Graal en peluche.

Mais, au-delà de la farce, il faut reconnaître aux Labubu une singulière vérité esthétique : ils incarnent le chaos mignon, la tendresse post-apocalyptique, le mauvais goût transcendé en art de vivre. Ils sont nos doubles : étranges, fatigués, sur-connectés, et pourtant obstinés à sourire pour la galerie numérique.

Dans un monde dans lequel tout devient lisse, conforme, algorithmique, le Labubu demeure une anomalie nécessaire, un petit monstre sincère, grotesque et sublime à la fois, comme une métaphore en peluche de notre époque, ou de nos âmes, c’est-à-dire des choses qu’on aime malgré leur difformité.

FM