CHLOÉ LE MAUSOLÉE DE LA NOSTALGIE
Chloé, cette maison parisienne, après Karl, s’imagine encore que la mode est un rêve et non une marchandise, un souffle et non un calcul. Voilà qu’une nouvelle prêtresse, Chemena Kamali, s’avance, drapée dans les fantômes de Karl Lagerfeld et les illusions d’un soleil qui n’existe plus. On nous parle de nonchalance ensoleillée, de féminité naturelle, d’élan juvénile, comme si la jeunesse n’était pas déjà la chose la plus surexploitée de l’industrie et de la féminité, la plus travestie.
Elle fouille les archives, exhume des étoffes, ressuscite des fleurs fanées pour leur faire croire qu’elles vivent encore. Elle croit réinventer le passé alors qu’elle le récite comme une prière dont elle ignore le sens. Et sous prétexte d’hommage, elle transforme la nostalgie en commerce : les années 70 et 80, ces âges d’or que l’on vend désormais en centimètres de tissu et en hashtags bien polis.
On nous dit qu’elle se dévoile davantage, mais le printemps dont elle parle ne sent pas la pluie ni la terre, mais l’amidon et le marketing. Ces robes « baby doll » et ces maillots de bain d’atelier évoquent moins le corps féminin que son idée formatée, polie et bonne à photographier.
On évoque, pieusement, Gaby Aghion, pionnière du prêt-à-porter de luxe, comme on évoquerait une sainte dont on aurait oublié la foi. Ses défilés au Café de Flore, ses rêves d’indépendance et de sensualité légère, tout cela n’est plus qu’un parfum qui s’évapore à mesure qu’on le cite.
Les motifs floraux du Miami des années 50 ne sont plus des fleurs, mais des reliques imprimées sur coton, des souvenirs qu’on lave à 30 degrés. Même les manteaux cocons et les chemisiers courts semblent vouloir s’excuser d’exister, frôlant le volume, mais jamais la démesure.
La vraie mode n’a jamais eu besoin d’archives ni de défilés ! Elle naît d’un battement de cœur, d’une insolence, d’un éclat de rire au coin d’une rue. Mais à force de vouloir ressusciter son passé, la maison court le risque de devenir un mausolée bien éclairé, où les mannequins défilent comme des spectres vêtus de jolies intentions.
FM