GIVENCHY LA COUTURE DU MANIFESTE CREUX
Le premier défilé de Sarah Burton pour Givenchy avait déjà montré les signes d’une sensibilité surfabriquée, et son second confirme cette pente : une couture de l’affirmation tapageuse à la Chiuri, qui se croit féministe parce qu’elle exhibe. Les clientes, trophées vivants de cette mode prétendument libératrice, se pavanaient ce soir-là dans un caban en satin duchesse jaune pâle ceinturé de noir, comme pour proclamer haut et fort leur droit à l’ostentation.
On nous vante la légèreté des vestes déstructurées, désormais réduites à la mollesse d’un cardigan, comme si ôter toute ossature revenait à libérer la femme. Quel progrès ! Effacer la tenue pour mieux mettre à nu. Et cette robe-manteau aux courbes généreuses, jadis portée avec majesté, dorénavant défaite, ses revers arrachés des épaules pour laisser pendre, misérablement, les bretelles d’un soutien-gorge. L’émancipation livrée en pâture, à la liberté, à tout prix, sous prétexte de déconstruire.
Tout le vocabulaire est là : cols béants, vestes penchées, ourlets relevés, jupes descendues, à peine sous le nombril, comme un tissu mal ajusté qu’on accroche à la hâte. Le corps n’est plus célébré, il est transformé en terrain de revendication bruyante, un manifeste textile criard qui confond provocation et puissance. Burton elle-même l’avoue : « l’esprit pour les affaires, le corps pour le pêché ». Voilà donc le message du pouvoir féminin réduit à un slogan de vitrine, Marilyn Monroe recyclée en motif noir et blanc pour enrober une idéologie de pacotille.
Une robe blanche, telle une draperie d’autel arrachée au silence des chambres, que le mannequin pressait contre sa poitrine haletante, attachée à un corsage couleur de pêche, et cette jupe bouffante hérissée de plumes, n’était-elle pas comme les songes chimériques d’un luxe consumé par lui-même ? Puis, un manteau couleur camouflage et aux épaules presque nues, effiloché comme un rideau fatigué, ou une jupe boule hérissée de faux panaches arrachés à la mousseline rouge : on applaudit l’illusion, la « méticulosité » qui se contente de singer la plume, le luxe qui mime la fragilité. Et le public acclame comme si l’on devait remercier une créatrice de travestir l’habit en manifeste.
Cette collection n’est pas un hymne à la femme : c’est une caricature de sa force, une couture de revendication qui confond la nudité avec la liberté et la provocation avec l’émancipation. Ici, la femme n’est pas libérée : elle est réduite en étendard. Mais, lorsqu’on observe, au bout du compte, la rectitude qu’elle impose à son propre corps, on en saisit plus clairement le sens.
FM