ARMANI LE CRÉPUSCULE DE L’ETERNITÉ

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Sous les voûtes séculaires de la Pinacothèque de Brera, à l’heure où la lumière déclinante se change en crépuscule, une cérémonie s’accomplit qui tenait du rite et du testament. C’était le jubilé d’une maison, mais plus encore l’adieu d’un homme. Giorgio Armani, ce législateur de l’élégance, voyait son nom s’inscrire dans la pierre et dans la mémoire, comme s’inscrivent, au flanc des temples, les sentences des anciens.

Le silence environnait l’événement. Les protestataires Gazaouis eux-mêmes, massés aux abords du sanctuaire, retenaient leurs voix : leurs bannières immobiles semblaient se prosterner devant la grandeur d’une heure solennelle. Dans la cour pavée, des lanternes s’allumèrent, pareilles à des astres dociles que la main du destin eût disposés pour guider les pas des vivants vers le domaine des ombres. Les fauteuils, d’un blanc crémeux, alignaient leur rondeur apaisée, comme une armée pacifique qui gardait le passage des siècles.

Alors, dans cette enceinte consacrée, vinrent prendre place les témoins illustres : Blanchett, Close, Jackson, Spike Lee, visages dans le recueillement pour un soir, devinrent les figurants d’une tragédie antique. Le piano d’Einaudi éleva son chant : des notes cristallines tombèrent de ses mains comme des larmes pour une plainte sublime, ainsi s’avancèrent les premières silhouettes, vêtues de cette simplicité souveraine qu’Armani avait imposée au monde.

D’abord la rigueur des lignes, les épaules adoucies, puis, comme une mer qui s’ouvre, ensuite jaillirent les bleus méditerranéens, les verts profonds, les lilas vaporeux. Les étoffes se mouvèrent avec la légèreté des songes, semblables à des voiles qu’un vent marin pousse vers les contrées invisibles. On crut voir s’éveiller les génies de l’Orient, comme des réminiscences exotiques, mais comme des figures d’éternité aussi.

Ainsi se révélait, dans ce dernier ouvrage, la loi du maître : la beauté devait s’adresser à tous, sans âge, sans mesure, comme un droit naturel que la nature elle-même confère aux mortels. Ce soir-là, chacun comprit que Giorgio Armani n’offrait point une collection passagère, mais une part de son âme, déposée dans la mémoire du monde, comme un flambeau qu’on confie à la nuit afin qu’il éclaire les siècles.

FM