LUXE AUTOPSIE D’UN EMPIRE QUI VACILLE
Ils ont donné les plans, les clés, et la Porsche avec” : chronique d’un suicide industriel « Made in France ». C’était beau, c’était grand, c’était bête. On nous avait promis la conquête de l’Empire du Milieu, la classe business à prix cassé et 1,4 milliard de clients qui, à défaut de parler français, sauraient reconnaître l’excellence de nos tailleurs en tweed et de nos avions en matériaux composites.
Mais, pour poser un orteil en Chine, il fallait d’abord poser un genou à terre. Joint-venture, transfert de technologie, ouverture de tous les tiroirs, y compris celui du secret industriel. “Ils copient, mais ils ne sauront jamais innover”, répétait-on dans les dîners en ville, entre un vol pour Shanghai et un champagne millésimé, avec « El Gringo » en tête de cortège.
Les Chinois ont copié, puis ils ont innové et au revoir. À l’époque, COMAC faisait sourire. Un avion chinois ? Une sorte de friteuse volante, pensait-on dans les couloirs d’Airbus. Aujourd’hui, COMAC fabrique le C919, concurrent sérieux du 737 MAX et de l’A320. Et non, ce n’est pas une maquette !
Dans le luxe ? Là encore, on ricanait : “Ils n’ont pas notre culture du raffinement.” Ils n’en avaient pas besoin. Ils ont copié d’abord, et maintenant, ils créent des marques chinoises, qui émergent, vendent, et plaisent en plus. Pendant ce temps-là, nous recyclons la bottine de 1992 à 3 000 euros sur les conseils du Marrant.
Quant à l’IA, Huawei et consorts font mieux que rivaliser : ils imposent leurs standards, leurs puces, leur manière de penser l’avenir… et durant ce temps-là, en France, on célèbre fièrement un chatbot qui répond correctement à une devinette sur Molière.
“Mais, leurs produits ne sont pas de qualité”, répètent encore certains, entre deux réunions sur le “luxe responsable”. Sauf que la Chine ne vend plus seulement des gadgets. Elle vend du design, de la technologie, de la vision. Les voitures électriques chinoises, les smartphones, les vêtements, les satellites même, font aujourd’hui mieux et moins cher, et pendant qu’ils avancent, nous débattons sur le prix de la baguette dans les TGV entre deux grèves.
“On est foutu !” Vraiment ? Pas encore, mais il va falloir cesser de croire que notre cachemire nous rend invincibles. Oui, nous avons encore des forces : créativité, haute technologie, diplomatie… mais sans une stratégie commune et une colonne vertébrale industrielle, on court tout droit vers le déclin. Et ce n’est pas un logo doré sur un flacon de parfum qui nous sauvera.
Devant tous ces bouleversements, on regarde ailleurs, on s’écharpe sur les règles de l’Euro 2024, on débat sur la longueur des jupes au lycée, et on laisse la Chine concevoir le futur. Méthodiquement. Scientifiquement. Stratégiquement.
Peut-être que, dans l’univers du luxe, la seule véritable innovation encore possible réside dans le service après-vente. Mais en France, force est de constater qu’il est quasi inexistant. Quant aux Chinois, ils ne s’embarrassent guère de détours : pour préserver l’image d’une marque, ils vous renvoient un modèle neuf, sans discussion.
Je me souviens, pour ma part, d’un épisode révélateur : ayant confié ma montre TAG Heuer pour réparation, j’ai attendu six longs mois, au terme desquels on m’a simplement annoncé sa disparition. Il fallut l’intervention de la personne adéquate, accompagnée d’une lettre bien sentie, pour que, comme par enchantement, la montre réapparaisse. Sans doute avait-elle déjà trouvé le chemin discret des réserves patrimoniales de la maison…
Messieurs du luxe, vous qui trônez en cachemire, et dirigez à coups de PowerPoint dorés, il serait peut-être temps de décroiser les bras et d’ouvrir les yeux de vos vacances à Tolède. Votre empire ne tiendra plus sur les épaules d’un Louis XIV fantasmé ni sur les minauderies des demi-mondaines de gala. Le monde vous regarde, et il commence à bâiller.
FM