QUAND VUITTON SE PREND POUR UNE CIVILISATION
Jeudi, Louis Vuitton a levé le rideau sur son dernier coup d’éclat à Shanghai : « Le Louis ». Ce n’est pas un nouveau sac à 15 000 euros en plastique, c’est pire ! « Le Louis » est un « monument culturel » flambant neuf où cohabitent exposition, gastronomie, et bien entendu, commerce de détail, pour une cathédrale à la Disneyland du consumérisme déguisé en temple de l’art.
Voici donc un luxe qui s’érige en puissance diplomatique, qui colonise l’espace culturel en l’enveloppant de cuir grainé sponsorisé par des chinois de Shanghai, pour une vitrine d’un capitalisme à la fois triomphant qui sert en toile de fond à faire avaler l’épuration des Ouïgours.
L’événement n’a rien d’anodin. Si Louis Vuitton érige un tel monument en Chine, ce n’est pas par amour de la calligraphie ou par philanthropie culturelle. C’est stratégique. La Chine et ses millions de consommateurs férus de logos, comme tous les nouveaux riches, sont une vache à lait, certes capricieuse, mais toujours précieuse. En 2024, la région Asie-Pacifique (hors Japon) représentait 27,5 % du chiffre d’affaires de LVMH. Et dans cette région, la Chine continentale pèse près de 80 %. Faites le calcul : sans la Chine, le colosse du luxe vacille.
Pourtant, le sol chinois n’est plus aussi stable. Le marché montre des signes de fatigue, avec une croissance molle et des tensions géopolitiques complexes. Mais, qu’à cela ne tienne : on construit, on investit, on enrobe. Et planter un drapeau Vuitton dans le béton de Shanghai, pour rappeler que le luxe est éternel comme son guide suprême, bien que la demande, elle, ne le soit pas.
Ce que Louis Vuitton appelle culture, n’est, au fond, qu’un paravent ; on expose des œuvres, on propose une cuisine « conceptuelle », on parle de patrimoine et d’artisanat pour masquer une campagne publicitaire. En réalité, tout converge vers l’acte d’achat et un parcours immersif comme dans un grand parc à thème, avec à la sortie les boutiques.
Que reste-t-il donc quand on gratte le vernis ? Un géant qui construit des monuments à sa propre gloire dans des pays où il sent le vent tourner, et une industrie qui, sous couvert de prestige, déploie une stratégie de conquête méthodique, raffinée et parfaitement cynique.
FM