LA PRÊTRESSE DU BRUSHING NUCLÉAIRE QUITTE VOGUE

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Anna Wintour ou comment transformer un magazine de mode en bottin mondain de la publicité ? Il fut un temps où la mode était affaire de création, de vision, de beauté, de provocation même. Puis un jour, une frange impeccable, une paire de lunettes noires et une volonté d’acier ont décidé que tout cela n’était que fioritures inutiles. Anna Wintour venait d’entrer dans le bâtiment, et la mode ne sera plus jamais la même.

Il paraît qu’un jour, la dame a déclaré fièrement :

« C’est le meilleur numéro de Vogue que nous n’ayons jamais fait. Il pèse 2 kg. »

Et elle avait raison. Deux kilos. Mais, pas deux kilos de mode ! Il s’agissait de deux kilos de publicités, de parfums qu’on ne sent pas, de sacs qu’on ne peut pas se payer, de mannequins clonés, « photoshopés », emballés sous cellophane. C’est simple : il faut 12 pages pour arriver au premier article qui n’est autre qu’un publi-reportage dissimulé sous une photo de Kendall Jenner dans un champ de tulipes.

Anna Wintour a su transformer l’art de la mode en art de la transaction. Le créateur du mois n’est pas celui qui crée le plus, mais celui qui paye le plus : un sac chez LVMH ? Une pleine page, un parfum chez Estée Lauder ? Une double-page centrale, une pub pour des pansements sponsorisés par une marque de luxe ? Si c’est bien payé, pourquoi pas.

Dans cette monarchie éditoriale, Anna est la Marquise de Merteuil régnant d’une main de fer dans « un gant de Ouïghoursur  » dans un château de papier glacé. Ses favoris ? Des créateurs triés sur le « mollet », souvent non pas pour leur talent, mais pour leur carnet d’adresses ou leur budget publicité. Si vous n’avez pas un actionnaire derrière vous avec un portefeuille gonflé à l’hélium, inutile de lui faire la révérence. On ne rentre pas chez Vogue comme ça. Il faut payer le péage.

Ses chouchous deviennent des stars. Les autres ? De simples vassaux de la fashion sphère, à genoux devant le trône de Sainte Anna.

Derrière cette glaciale silhouette, au brushing bétonné, se cache un parcours… disons, dynamique. Très jeune, déjà ambitieuse, Anna ne recule devant rien. Une liaison avec un ami influent de papa ? Et hop, la voilà dans les bureaux feutrés de magazines anglais. Puis, comme un boomerang en talons aiguilles, elle revient par la petite porte, gravit les échelons, écrase les pieds (et les egos), jusqu’à s’asseoir sur le trône de Vogue US, qu’elle occupera pendant plus de 40 ans, comme un meuble design qu’on n’ose pas déplacer.

Il suffit de l’écouter. Elle ne commente pas les créateurs, elle les nomme, comme un pape avec ses cardinaux. Elle se croit styliste, éditrice, oracle, gourou, influenceuse avant l’invention d’Instagram. Sauf qu’elle ne crée rien. Elle ne fait qu’orchestrer le cirque, choisir qui aura le droit de monter sur le podium et qui finira en coulisses avec une bretelle cassée.

Physiquement ? C’est Chantal Goya en Karl Lagerfeld. Coupe au carré impassible, lunettes de Polnareff vissées sur le nez comme si le soleil frappait l’intérieur de tous les défilés. On dirait une intelligence artificielle des années 80 qui aurait lu trop de Harper’s Bazaar.

Aujourd’hui, Vogue ne parle plus vraiment de mode. Vogue parle de ce que Vogue pense de Vogue, c’est-à-dire de ce qu’Anna pense d’elle-même. Tout est mis en scène pour flatter son goût, sa vision, son humeur du mois. Le moindre éditorial semble lui dire :

« Oui, Anna, vous aviez encore raison. »

Et tant pis, si le lecteur s’y perd. L’important, c’est que la maquette plaise à la prêtresse.

Anna Wintour est une légende ; une légende de contrôle, d’influence, d’inflexibilité. Mais à force de tout verrouiller, de tout filtrer, de tout marchandiser, elle a peut-être oublié l’essentiel : la mode, la vraie, celle qui ne se contrôle pas. Celle qui dérange, invente, explose, et qui ne pèse certainement pas deux kilos de pub.

FM